Le 26 février dernier, après trois mois et demi de campagne d’été très intenses, sur une station pleine à craquer, les derniers campagnards d’été sont partis, nous laissant seuls pour les 8 prochains mois. Un moment fort en émotions que je vous partage dans cet article …
Arrivé le 11 Novembre 2022 sur la station Dumont d’Urville après un long voyage, j’ai très vite été plongé dans l’effervescence ambiante de la station, et ai été très occupé, à commencer par la passation avec mon prédécesseur afin d’être opérationnel sur le poste que je vais occuper pour les 12 prochains mois. La découverte de la station et des personnes qui l’habitent m’a aussi pas mal stimulé, et les soirées étaient bien chargées. Les rotations de l’Astrolabe se sont enchaînées sans que je ne vois le temps passer. J’étais régulièrement invité à aller en manip avec les ornithologues ou avec les phoquiers, curieux de découvrir comment se fait la science ici. J’allais aussi très souvent me balader, faire des photos afin de découvrir la banquise, puis l’ile des Pétrels quand la débâcle a eu lieu. Et les activités n’ont pas manqué, que ce soit le rugby banquise, la baignade dans l’océan antarctique, ou encore l’après-midi escalade.
Et puis, un jour, alors que la vie était devenue particulièrement agréable, qu’on s’était habitué.e.s aux lieux, au climat, et qu’on avait tissé de belles relations d’amitié avec pas mal des personnes, le responsable de la logistique annonce l’arrivée imminente de l’Astrolabe pour sa dernière rotation, et qu’il ne restera que 3 jours. Autrement dit, dans 3 jours, des personnes avec qui l’ont vit depuis 3 mois et avec qui j’ai vécu des moments inoubliables s’en iront. Dans 3 jours, nous serons seuls sur la station, et l’hivernage débutera, sans plus aucune possibilité de faire demi-tour, quoi qu’il arrive. Dans 3 jours, nous serons bloqués ici pour 8 mois et il faudra apprendre à vivre ensemble, dans les bons comme dans les mauvais moments. Dans 3 jours commencera ce que chacun et chacune d’entre nous est venu chercher … Mais vous savez quoi ? C’est arrivé très vite, beaucoup plus vite que je ne l’avais anticipé, et c’est avec un peu de trac que j’apprends la nouvelle. Je ne dois pas être le seul à être un peu chamboulé, puisque l’ambiance sur la station change… Il s’agit de profiter de ces derniers instants avec chacun et chacune, d’être sûr.e et certain.e d’être à sa place et de vouloir y rester, de gérer les derniers soucis de logistique et les besoins de main d’œuvre qu’implique une rotation.
Le groupe d’hivernant.e.s s’était déjà bien constitué, puisque nous étions presque toutes et tous arrivé.e.s sur R0 et R1, soit en Novembre ou Décembre. Nous commencions à bien nous connaître et à savoir interagir et coopérer ensemble. Néanmoins, pour diverses raisons, trois personnes qui devaient initialement hiverner ont été remplacées, et nous accueillons sur R4 notre nouveau cuisinier, Noë, ainsi que notre nouveau chef centrale, Christophe. Il fallait leur faire une place dans le groupe, et les accueillir correctement, car eux n’avaient pas trois mois mais seulement trois jours pour se faire à la station avant le départ définitif de l’Astrolabe. La traditionnelle soirée du samedi soir aura été décalée au vendredi soir, premier jour de Noë sur la station (Christophe ayant déjà hiverné ici), afin de fêter l’arrivée de R4, et de permettre aux campagnards de profiter de l’événement, puisqu’ils auront une grosse journée de travail dimanche, avec le départ de l’Astro !
Le samedi soir, à peine débarqué la veille, Noë était aux fourneaux avec Judith (notre boulangère-pâtissière) et Aurore (pâtissière sur la TA71, venue prêter main forte pour la campagne d’été). Ils nous ont concocté un repas de fin de campagne absolument somptueux. L’occasion de célébrer cet instant important : dernier séjour en Antarctique pour certains, fin d’une campagne intense en travail pour d’autres, début d’une nouvelle aventure pour nous … L’ambiance était festive et la pièce montée viendra finir de convaincre tout le monde du fait qu’on n’allait pas mourir de faim cet hiver !
Un moment plus anonyme, mais particulièrement riche en émotions, viendra conclure la soirée. Bien que toutes et tous fatigué.e.s de la soirée festive de la veille, ce dernier soir avant l’hiver est un moment que nous voulions vivre entre hivernant.e.s. La plupart des campagnards d’été étant partis se coucher, nous étions une quinzaine d’hivernant.e.s autour de la table. Victor, son accordéon et ses chansons feront le reste. Et voilà que le groupe s’est un peu plus soudé autour de belles émotions et de – je dois bien l’avouer – quelques larmes.
Le lendemain, c’est le grand jour du départ. Le réveil d’une nuit bien courte était difficile, en sachant qu’il faudra dire au-revoir à des personnes devenues très proches en l’espace de quelques semaines. Le 26 février 2023 fait pour moi partie des jours que je sais importants, dès le réveil, pour lesquels je sais qu’ils vont être difficiles à vivre, mais qu’il ne faut pas fuir et pour lesquels il faut donner 100% de soi pour être à la hauteur de l’événement. Un rapide repas, des discussions dont je n’ai aujourd’hui plus aucun souvenir, et ça y est, les passagers doivent embarquer. Il faut descendre à l’abri-côtier, lieu emblématique de la station, où bien des larmes ont été versées. Un dernier au-revoir, des larmes et des lunettes de soleil pour faire semblant de les dissimuler … Et très vite, on se retrouve partagés en deux groupes : les campagnards, sur l’Astrolabe, qui sont montés sur les ponts supérieurs nous saluer, et les hivernant.e.s qui enchaînent les blagues et les rires trop forts qui tentent modestement de détendre une atmosphère pesante et une certaine tension. Imaginez-vous rester 8 mois bloqués au bout du monde sans vraiment pouvoir être secouru, avec des personnes certes adorables, mais que vous ne connaissiez pas quelques semaines auparavant, et qui ne vous ont montré que le meilleur d’elles-même … Comment vous sentiriez-vous ? Et bien dites vous que c’est une émotion bien plus prenante encore quand on le vit pour de vrai …
Comme je le disais, il s’agit d’être à la hauteur du moment. Comme on dit beaucoup ici, si on est triste en partant, ou quand d’autres partent, c’est parce qu’on a vécu des moments forts. Aussi, on se ressaisit vite, on s’assoit sur les rochers, et on essaye de communiquer par gestes, par blagues et par radio avec nos ami.e.s embarqué.e.s. Pendant ce temps, la logistique et la technique s’affèrent pour terminer la campagne d’été : embarquer l’hélicoptère, hiverner la station Prud’homme (station voisine, départ du RAID, à 5 km d’ici), clore le travail sur le Lion, l’île voisine, d’où part l’Astrolabe, mais à laquelle nous n’avons plus accès pendant l’hivernage avant que la glace de mer ne se reforme …
Le bateau démarre ses moteurs et quitte l’Anse du Lion. Et nous, on fête ça, pour dire au revoir, à coup de lâchers de poudres de couleurs (inoffensives pour l’environnement, c’est juste de la farine colorée). Bientôt, nos amis ne sont plus à portée de voix, et nous retournons alors sur la station pour aller dîner. Premier dîner à 23 … Pendant ce temps, les derniers campagnards démontent l’embarcadère sur le Lion, et hivernent l’île, alors que l’Astrolabe reste à portée de vue. A la fin du repas, ils terminent leur travail et nous courrons tous dehors leur dire au revoir. Un zodiac vient les chercher, et l’Astrolabe s’en va : ça y est, l’hiver commence !
Le soir, après avoir déplacé la salle à manger pour en faire un salon/salle de jeu, histoire de marquer une vraie rupture, on passera un film dans une ambiance vraiment bizarre. Trop de fatigue et d’émotions sans doute. Heureusement, ma soirée du lendemain, avec une partie de cartes avec Enzo, Louis et Thomas, respectivement informaticien, électronicien, et menuisier, jusqu’à tard, me fait penser que cet hiver sera incroyable, parce que vécu avec un groupe fort, constitué d’individus tous uniques et pleins de belles surprises ! Spoiler : deux mois plus tard, c’est toujours aussi incroyable …
Je ne peux pas conclure cet article (déjà bien trop long) sans remercier chacun et chacune des campagnards d’été pour la passion, le dévouement et l’envie de partager ce qu’ils et elles font. Sans elles et eux, l’hivernage et la science seraient impossibles à Dumont d’Urville. Je les remercie aussi pour tous les bons moments vécus. Il est rare de mixer autant de parcours de vie, d’origine et d’âges différents dans un lieu aussi exceptionnel, et qu’ils puissent se parler, se comprendre, et même travailler ensemble dans un même but. J’ai beaucoup grandi à leurs côtés, et je suis honoré d’avoir pu vivre ça avec elles et eux. Une nouvelle aventure commence désormais, pour ceux qui partent, comme pour ceux qui restent …
4 réflexions sur “Début d’hivernage”
Il est chouette ton article Val, et retranscrit bien ce qu’on ressent quand le bateau s’éloigne. Profite bien de ce super groupe dans lequel tu es « tombé », et de cet environnement magique. On suit tes aventures avec plaisir et nostalgie 😉 bisous,
Céline
Céline,
Merci beaucoup pour ton retour ! J’ai été très heureux de croiser ta route ici, et je te souhaite beaucoup de belles aventures pour la suite ! Compte sur moi pour profiter comme jamais de cette aventure, et en effet, de ce groupe incroyable avec qui j’ai l’honneur de la partager !
Bisous !
Merci Valentin de nous partager ton aventure, ton ressenti aux moments du départ de l’Astrolabe, tes émotions…
L’inquiétude d’entrer dans cet hivernage et de rester à 23 pendant 8 mois quoiqu’il arrive, a dû accentuer cette charge émotionnelle, sur l’instant.
C’est quand même une aventure hors du commun !
J’imagine qu’à votre retour sur le continent, des retrouvailles festives sont envisagées avec les campagnards d’été pour une rétrospective des moments passés ensemble, et de votre hivernage. 😉
Maintenant que tu es rentré dans l’hiver, à quand un article sur les photos et vidéos lunaires, d’aurores australes, que tu m envoies ? Il faut absolument les partager !
Gros bisous Valentin 😍
Merci pour ce commentaire !
Il est sûr et certain que, malgré l’apparente banalité et la routine qui peut s’installer ici, ce que l’on vit est hors du commun, et ces articles sont un bon moyen de raconter ce que je vis, et de vous amener avec moi !
Sûr et certain que je reverrai certains campagnards d’été à mon retour, et pour d’autres, je les reverrai même ici, à la fin de l’hivernage quand ils débarqueront pour la campagne d’été suivante. Et puis plein de nouvelles têtes s’ajouteront à la fête !
La compilation de mes meilleures photos d’aurores est presque terminée, je sens une grande impatience, mais tout vient à point à qui sait attendre !
A bientôt pour de nouvelles aventures …