Manip phoques

Manip phoques

Ces derniers jours, ma galerie  d’animaux s’est remplie de photos de phoques. Les règles de respect de la faune nous imposent de rester à au moins 40 m de ces mammifères afin de ne pas les déranger. Néanmoins, ici, certains programmes étudient les phoques de Weddell pour mieux comprendre l’espèce, leurs liens et dépendances au milieu naturel qui les héberge, et leur sensibilité à la variabilité de ce milieu. Pour pouvoir les étudier, il faut parfois s’en approcher, notamment pour déployer des balises, et c’est dans ce cadre que j’ai été invité à participer à une manip. Aller, je vous raconte !

Ici, l’été se termine et la houle et le vent ainsi que le redoux ont fini par avoir raison de la banquise qui entourait l’île des Pétrels sur laquelle nous habitons. Les phoques se trouvent sur une partie de la banquise collée au continent, à moins d’un kilomètre de la station. Normalement, quelques minutes de marche suffisent, mais cette fois, c’est en bateau qu’il faudra s’y rendre. Rendez-vous à 8h15 après un briefing météo pour nous équiper.

Après un petit trajet en bateau d’une dizaine de minutes entres les glaçons, nous avons été déposés sur la banquise pour la journée. Pas de temps à perdre, les créneaux météo sont rares en ce moment. Après avoir quitté notre combinaison étanche et enfilé des vêtements chauds et confortables pour travailler, nous avons été briefés à la manip par les responsables, Sara et Xavier. Les 3 opérateurs et moi-même avons pour mission d’aider les spécialistes à réaliser les prélèvements et poser la balise sur l’animal. A titre personnel, j’étais là pour photographier la manip, et aider mes collègues en cas de problème ou s’ils voulaient se reposer.

La manip appartient au programme 1182 de l’Institut polaire français, dont le responsable est Jean-Benoît Charrassin. Elle consiste à coller une balise sur la fourrure de la tête de l’animal, balise qui restera en place une dizaine de mois et permettra de suivre toute une série de paramètres, comme la position, les plongées, la température et la salinité de l’eau, ainsi que la fluorescence (qui indique la présence de phytoplancton). Ces balises sont déployées sur 1 mâle et 7 femelles et transmettent leurs données par satellite. Elle se détachera ensuite d’elle-même au cours de l’été prochain lors de la mue de l’animal, sans aucune gêne pour l’animal. Les précieuses informations récoltées permettront alors de mieux comprendre l’espèce et ses liens avec son environnement de vie. Ainsi, les scientifiques pourront répondre à certaines de leurs questions :  comment les phoques de Weddell adaptent-ils leurs zones d’alimentation en fonction des variations des conditions océanographiques et de banquise ? Vont-ils toujours au même endroit ? Plongent-ils toujours aux mêmes profondeurs, dans les mêmes masses d’eau ? Comment chassent-ils ? Le programme existe depuis 2006, fournissant de longues séries de données qui peuvent permettre d’établir à terme des tendances, et de comprendre l’influence de la variabilité des conditions de leur habitat sur leur comportement.

Les poussins empereurs dont je vous parlais dans cet article faisaient autour de 20 kg. Ici, on parle de phoques qui font autour de 300 kg. Pour réduire au minimum le stress des mammifères, un protocole d’anesthésie de l’animal a été mis en place, permettant de réaliser sereinement la manip qui s’étale au total sur 45 minutes. Après avoir été capturé, l’animal est maintenu afin de pouvoir réaliser une piqûre qui induit un relâchement musculaire. Il est alors anesthésié avec un gaz, et Sara suit de près l’état de l’animal et sa respiration tout au long de la manip. Elle adapte le dosage de gaz anesthésiant en fonction. On recouvre le phoque d’une couverture de survie pour ne pas qu’il se refroidisse suite à l’anesthésie. L’opération se passe au milieu de la colonie qui compte une soixantaine d’individus, et suscite un peu de curiosité des voisins, avant qu’ils ne retournent à leur sommeil. Du sang ainsi qu’une vibrisse sont prélevés sur l’animal. Ils permettent, via une analyse isotopique, de remonter à la position de leur alimentation dans la chaîne trophique. Autrement dit, c’est un moyen de mieux comprendre ce qu’ils ont mangé au cours des dernières semaines avec le sang, et des derniers mois avec la vibrisse.

Une fois la manip terminée, l’anesthésie est interrompue et l’animal se réveille alors de lui-même. Il est alors surveillé par nos spécialistes pour vérifier qu’il n’y a pas de complication, puisque, comme pour un humain, une anesthésie n’est jamais sans risque, bien que tout soit mis en œuvre pour que l’opération se passe bien, et que tout est prévu pour pallier à une éventuelle urgence. Sur les trois phoques que nous avons anesthésiées dans la journée, aucune complication ne s’est produite, et chacun des phoques s’est réveillée correctement. L’une d’entre-elles est allée boire en bord de banquise sous nos yeux, lorsque nous pique-niquions à quelques pas de là. Un moment de pause bien plaisant qui nous permettra de reprendre de l’énergie pour l’après-midi, davantage dédiée au transpondage des phoques, dont je vous reparlerai en fin d’hivernage.

A titre personnel, je suis impressionné par le professionnalisme de Sara et Xavier, qui ont pris particulièrement soin des animaux, en s’assurant de les stresser le moins possible, et de limiter la gêne induite dans la colonie. Même à 6 personnes autour de l’animal, le calme et le silence étaient de mise, et chacun.e était concentré.e sur sa tâche. Il est évident que le bien-être de l’animal passe avant la science. Je suis particulièrement honoré d’avoir pu vivre ce moment intense en émotions. Outre les 3000 photos et les 2 jours de tri et traitement, cette journée me permet de repartir avec un regard différent sur ces animaux et la manière dont la science est menée sur des êtres vivants.  Je retiendrai aussi la chaleur, la densité et la douceur de leur pelage, qui leur permet de vivre dans de telles conditions toute l’année.

J’espère que cet article vous aura ouvert une fenêtre sur la science qui est menée ici. Je souhaite remercier Sara et Xavier de m’avoir permis de les accompagner et de les aider. Ils ont pris le temps de répondre à chacune de mes questions. Un merci tout particulier à Sara, chargée de recherche au CNRS sur les prédateurs de la banquise, pour avoir pris le temps de m’expliquer son métier, parlé de sa discipline, et avoir corrigé mon article, pour être sûr que je ne raconte pas de bêtises ! Je ne résiste pas à l’envie de vous laisser avec mes photos préférées des Weddell. A bientôt pour de nouvelles aventures tout aussi palpitantes …

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2 réflexions sur “Manip phoques”

  1. GUILLET ANNICK

    Valentin,
    Je ne me lasse pas de lire tes articles, découvrir tes activités toutes aussi palpitantes les unes que les autres, agrémentés de photos qui me paraissent surréalistes !!!
    Toi, le grand passionné d astronomie et de physique depuis ton plus jeune age, je n imaginais pas que tu puisses autant t intéresser aux animaux, même si je te sais très curieux.
    Quelle chance de pouvoir accompagner ces professionnels, eux-mêmes passionnés !

    Tes photos sont magiques ! Ce sont de vrais voyages à travers tes escapades et activités.

    Dans l attente de lire ta prochaine aventure, je t envoie pleins de gros bisous BZH.

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