L’Équipe médicale

L’Équipe médicale

Dans mon précédent article, je vous parlais de ma rencontre avec Thomas Pesquet lors d’une visio avec l’Institut polaire français. Depuis l’espace, en cas d’urgence médicale, l’astronaute préféré des français témoignait qu’il faudrait moins de 48 h pour qu’il se retrouve dans un hôpital. Ici en Terre Adélie, l’évacuation sanitaire est impossible et il faut attendre la fin de l’hivernage, d’une durée de 8 mois, pour pouvoir être évacué par bateau, soit 5 jours de trajet … Il faut donc une équipe médicale sur le terrain, prête à parer à toutes éventualités ! Et devinez quoi ! J’en fais partie …

Sur la station, il y a un médecin à l’année, qui joue à la fois le rôle de médecin traitant (souvent pour de la bobologie), de médecin du travail (pour l’évaluation des risques à un poste ou sur une nouvelle opération), de dentiste, de gynécologue, de psychologue (des spécialistes sont également joignables par téléphone), de kiné, d’urgentiste, et de chirurgien. Cette année, c’est Émilie qui s’y colle ! Urgentiste et médecin pompier volontaire dans la vallée de Chamonix, elle participe aussi au secours en montagne en tant que médecin, et sauve des vies dans son hélicoptère de la gendarmerie ou de la sécurité civile. Acharnée de sport, elle enchaîne les séances, et anime gainage et yoga, mercredi et dimanche. De quoi garder la forme ! Disponible et curieuse, elle aura touché à bien des métiers tout au long de l’année … Confidente et amie d’une grande qualité, elle m’aura même appris le tricot, c’est dire !

Néanmoins, malgré son impressionnant curriculum vitae, Émilie aura besoin de nous en cas d’interventions, ou pour la seconder si une urgence se présente alors qu’elle est en dehors de la station. Cela s’inscrit dans les missions que nous avons à mener et aux rôles que nous avons à nous répartir à notre arrivée pour la gestion des situations d’urgence. En effet, en plus d’une équipe médicale, il y a une équipe dite « rescue », et une équipe de pompiers. Le rôle de l’équipe rescue est de secourir une personne blessée sur le terrain (ou tombée dans une crevasse) et de la rapatrier à l’hôpital en appliquant les gestes de premier secours. Les pompiers, quant à eux, interviennent rapidement en cas d’incendie, évacuent les personnes éventuellement prisonnières du feu, et tentent de lutter contre les flammes.

Sauf qu’on n’est pas médecins, ni même infirmiers … Au cours de l’année, nous avons donc été formés pour seconder notre médecin préférée dans pas mal de tâches. En guise d’introduction, le cadre légal de notre activité. En effet, on ne peut pas exercer la médecine n’importe où. Notre mission en terrain isolé nous donne droit à dérogation pour certaines pratiques, qui seront interdites à notre retour en métropole. Évidemment, le secret médical est de rigueur, même sur une station où tout le monde connaît tout le monde.

L'équipe médicale au grand complet © Laurent LE GUINIEC - TAAF - TA73

Aller, on rentre dans le dur du sujet ! Formation à la prise en charge d’un patient en cas d’urgence. La méthode ABCDE (Airway, Breathing, Circulation, Disability, Environment) nous permettra, à l’aide des gestes de premiers secours associés, de pallier à une situation d’urgence. Chaque mois, une nouvelle formation viendra nous apporter une nouvelle compétence !

En janvier, nous apprendrons à prendre les constantes d’un patient (tension, pouls, électro-cardiogramme, saturation). Stéthoscope aux oreilles, chacun y passera tour à tour. En février, nous avons appris à prendre en charge un patient en cas d’absence du médecin sur la station. Aidés d’un bilan guidé par un questionnaire, nous pouvons même administrer quelques médicaments, via une prescription anticipée pour des cas très précis, et interagissons avec le médecin par radio en cas de besoin plus spécifique.

En mars, ça y est, l’hivernage a commencé, nous sommes seuls sur station et nous apprenons les points de suture. Un geste technique très particulier, normalement réservé aux médecins, mais qui ne présente pas de grande difficulté pour des cas simples. Nous sommes donc initiés au travail en stérile. Nous apprenons le nettoyage en 4 temps, à faire une anesthésie locale, puis à réaliser des points superficiels avec plusieurs types d’aiguilles et plusieurs épaisseurs de fils. Nous nous entraînons sur de la peau de porc trouvée dans nos frigos ! Après quelques points laborieux, je finis par piger le truc et y prend même un certain plaisir ! Une vocation manquée ? Quelques semaines plus tard, j’aurai même le droit, sous la supervision d’Emilie, de réaliser mes premiers points sur patient. Un moment particulièrement stressant, mais dont je garde un excellent souvenir.

Après ces premières séances préliminaires, nous allons rentrer dans le dur du sujet. En effet, notre rôle le plus important est d’assister la médecin en cas d’intervention chirurgicale au bloc. C’est arrivé régulièrement qu’il faille réaliser une intervention, dans d’autres districts ou ici, et il est important de s’y préparer.. Le rôle de chacun et chacune est bien défini et on n’est pas trop de 8 pour aider. Noë et Coralie, cuistot et vétérinaire, sont les aides opératoires. Ils sont aux plus proche de l’intervention et aident le médecin dans ses gestes techniques. Mélaine et Enzo, second centrale et informaticien, sont les aides anesthésistes. Ils scopent le patient, préparent les produits et surveillent les constantes avant et au cours de l’intervention. Ils sont à la tête du patient. Hervé et Quentin, prévisionniste météo et électrotechnicien, sont aides logistiques. Ils font le lien avec l’extérieur du bloc, vont chercher et stérilisent du matériel, et procèdent à des analyses sanguines au besoin. Ils aident également les membres du bloc à s’habiller en stérile. Enfin, Aurélien et moi même, sommes les aides bloc. Nous mettons en place les machines (bistouri électrique, aspirateur, couverture chauffante) et distribuons une partie du matériel au médecin. Nous aidons aussi à la préparation du patient. L’un de nous s’habille en stérile pour aider la médecin dans l’intervention. Aurélien a en plus le rôle de chef d’orchestre. Il prend note des ordres du médecin, et dispatche le travail de préparation du bloc et du matériel notamment.

Formés à notre rôle en avril, nous nous exercerons en mai sur un cas pratique. Le scénario : un grand brulé, des pieds au bas du ventre, débarque en urgence au bloc, rapatrié par l’équipe rescue après un incendie. Il faudra alors préparer le patient, le scoper, l’anesthésier afin de nettoyer et panser ses brûlures. Pour pimenter le scénario, des complications auront lieu pendant l’anesthésie, mais grâce à la vigilence de nos aides anesthésistes, la médecin sera prévenue à temps d’un emballement des constantes, et pourra réagir à temps. Gégé (notre mannequin d’exercice) est sauvé ! Une intervention de 3h très éprouvantes, mais où l’on aura constaté assez peu d’erreurs et une bonne cohésion de l’équipe. Quelques ajustements dans les rôles de chacun et chacune nous permettront d’être plus efficaces le jour J, si une telle situation se produit.

Le mois de juin, le milieu de l’hivernage, et un excellent exercice pour apprendre à prendre en charge un arrêt cardio-respiratoire. Après la théorie, la pratique ! Gégé est en arrêt à la salle de sport. Il faut donc prévenir la médecin, puis commencer le massage cardiaque après avoir installé le défibrilateur. Chaque minute compte, et je dois dire que ce rappel n’est pas du luxe. Les autres compétences acquises au cours de cet hivernage ne pourront pas être utilisées en métropoles. Celle-ci, même si j’espère ne jamais être confronté à une telle situation, est à utiliser sans modération … Chaque minute compte, et cette expérience permettra à coup sûr de réagir plus sereinement en me disant « je sais faire ! ».

Avec les journées qui commencent à rallonger (même si les nuits durent toujours une vingtaine d’heures), juillet nous apprendra à mettre un plâtre ou une résine. Très pratique en cas de fracture, cette initiation sera aussi l’occasion de beaucoup rigoler, dans une équipe bien soudée. Nous plâtrons notre voisin, puis nous découpons le plâtre avec la fameuse scie qui ne coupe pas (mais laissera quand même de jolies traces sur nos jambes). Émilie profitera de l’occasion pour nous apprendre à poser un strapping, qui pourra aider nombre d’entre nous, vadrouilleurs que nous sommes.

En août, nous apprendrons à réaliser une transfusion sanguine en sang total. En effet, nous n’avons pas de quoi séparer le plasma des globules rouges. Aussi, ici, nous transfusons le sang au complet, quasi en direct (pas de capacité de stockage). Les protocoles sont très strictes pour réaliser une transfusion. Alors, après une introduction théorique sur les différents groupes sanguins et les compatibilités, nous apprenons à utiliser les kits de transfusion de l’armée. Il faut d’abord faire des tests sur le donneur (VIH, Hépatites B et C) ainsi que des tests de compatibilités entre le donneur et le receveur. Ici, nous connaissons le groupe sanguin de chacun. Pour le besoin de l’expérience, je donnerai un peu de mon sang pour qu’on puisse réaliser les tests. Tous sont négatifs, ouf ! Pour les tests de compatibilité, Émilie donnera aussi son sang, prélevée par Mélaine. Attention, grosses aiguilles !

La dernière formation, c’était fin septembre. Quoi de mieux qu’un nouvel exercice grandeur nature pour vérifier que l’équipe a progressé ? Après que le patient a été scopé, il nous faut faire une radio du bassin et une radio du fémur. Le diagnostique est sans appel, Gégé s’est fracturé le fémur, avec déplacement. Après avoir vérifié à l’échographie qu’il n’y a pas d’hémorragie importante, Emilie nous dit qu’il va falloir opérer … L’idée est d’installer un fixateur externe sur son fémur afin de le redresser et de l’immobiliser. Il va donc falloir percer dans les os (un morceau de cochon, à nouveau). On prépare alors le bloc, on s’habille, on anesthésie le patient puis on le déshabille et je commence à réaliser un premier nettoyage de la zone à opérer. Les anesthésistes surveillent les constantes, qui chutent. Il va falloir réaliser une transfusion sanguine tout en plaçant le fixateur externe. Utiliser une perceuse en stérile dans un bloc, c’est pas banal pour nous … Même Émilie n’est pas franchement habituée à l’exercice. Mais on se débrouille et on réussit à faire quelque chose de correct, ouf ! 18h30, fin de l’exercice. 3h très intenses mais qui nous montrent qu’on peut globalement s’en sortir en cas d’intervention, dans les mains expertes d’Émilie qui garde son calme et répond à toutes nos questions avec beaucoup de bienveillance.

 

Après ces 9 mois à apprendre tout ça, je suis heureux d’avoir enrichi mes connaissances en la matière et découvert un milieu qui ne m’était pas très familier. J’adore ces exercices qui font clairement sortir de la routine et du commun. Je n’aurais a priori jamais eu l’opportunité de faire cela en métropole. Néanmoins, malgré toutes ces formations, je reste très très peu compétent, et j’ose espérer qu’aucune situation d’urgence ne se présentera. Bien que ça ferait un très bel article, j’ai moyennement envie d’avoir un.e ami.e sur la table d’opération, entouré par des apprentis docteurs. Il me reste encore 3 mois à tenir ce rôle, je croise les doigts !

Et si c’est le docteur qui se blesse sérieusement ? vous demandez-vous peut-être … Les médecins des autres districts sont joignables 24h sur 24, ainsi que des médecins en métropole. Mais en vrai, c’est la méga m****. Elle pourra toujours s’opérer toute seule de l’appendicite, comme l’a fait Leonid Rogozov en Antarctique en 1961.

Émilie, puisque je sais que tu vas passer par là, j’en profite pour te remercier pour toute l’énergie et la passion que tu mets dans ces formations. C’est à chaque fois avec un grand plaisir et beaucoup d’enthousiasme que je découvre tes scenarii et me prends pleinement au jeu. Tu es quand même la meilleure médecin de Terre Adélie, c’est pas rien !! Merci pour tout

 

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3 réflexions sur “L’Équipe médicale”

  1. GUILLET ANNICK

    Valentin,
    Je suis assez bluffée par cet article !😮
    Et curieuse de connaître les critères de sélection pour intégrer cette équipe « RESCUE », pour que tu en fasses partie ! 🥴

    Tu vis une expérience forte en expérience.
    Je suis prise entre un sentiment de satisfaction pour toi avec tout ce que tu apprends et découvres, et dans le même temps je ne suis pas très rassurée. Souhaitant évidemment que ces exercices pratiques ne soient que des expériences d’apprentissage et qu’ils ne soient jamais réalisés en cas d’urgence.
    Concernant la vocation manquée, Valentin je suis assez rassurée de tes choix de formation et d’orientation professionnelles.

    Disons que je n’aurais certainement pas été la première de tes patientes ! 😁 Si tu saisis ma pensée.😘
    Gros bisous Valentin ♥️

    1. Merci Maman pour ce commentaire !
      En effet, tu pointes toute l’ambivalence du truc : apprendre un maximum de choses pour développer des petits réflexes, tout en espérant qu’on n’aura jamais à les utiliser !

      Et il n’y a pas de sélection pour appartenir à l’équipe d’aide médiaux ou à l’équipe rescue. Chacun doit faire sa part et la sécurité est l’affaire de toutes et tous, ici comme ailleurs (mais encore plus ici où l’on ne peut compter que sur nous).

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