Vous avez dit lidariste ?

Vous avez dit lidariste ?

Au moment où j’écris ces lignes, voici plus de 8 mois que je suis arrivé sur la base Dumont d’Urville. Envoyé en tant que scientifique, j’ai maintenant bien pris mes marques et vais pouvoir vous parler un peu de mon métier sur la station, et des différentes missions qui m’incombent !

Ma principale mission est d’opérer un LIDAR atmosphérique. LIDAR signifie Light Detection And Ranging, ce qui nous avance guère … Il s’agit d’un instrument composée de deux parties principales :

  • Une source LASER, qui émet des impulsions lumineuses vers le ciel jusqu’à de très hautes altitudes, afin d’éclairer les différentes couches de l’atmosphère, et en particulier les nuages et aérosols qui peuvent se trouver en stratosphère. Une fois éclairées, ces différentes couches renvoient de la lumière (on dit qu’elles diffusent), dans toutes les directions.
  • Un télescope qui concentre la lumière diffusée vers le bas sur des détecteurs (PhotoMulciplicateurs (PM) et PhotoDiodes à Avalanche (APD) sur le schéma ci-dessous). On enregistre alors le signal en temps réel et on le traite informatiquement. Comme la lumière va toujours à la même vitesse, on connait l’altitude de chaque signal en connaissant la durée de l’aller retour. On peut ensuite tracer un profil de diffusion en fonction de l’altitude.
Schéma issu de la thèse de Florent Tencé : https://www.theses.fr/2023UPASJ004

L’objectif de cet instrument est d’étudier les différentes particules et molécules qui se trouvent dans la stratosphère (au dessus de 8 km d’altitude au pôle, et jusqu’à 50 km environ, mais on s’intéresse ici surtout à la basse stratosphère, jusqu’à 30 km). Ainsi, on peut détecter les nuages spécifiques à l’hiver polaires, qui contiennent des molécules qui interagissent avec la couche d’ozone pour mener à des réactions destructrices, périodiquement au cours de chaque hiver polaire. On appelle ces nuages des PSC (Polar Stratospheric Clouds). Il parait qu’ils sont magnifiques, mais je n’ai pas encore eu l’occasion d’en observer à l’œil nu … Des photos viendront plus tard dans l’hiver !

De plus, avec cet instrument, on peut aussi détecter les aérosols issus des feux de forêt, comme les feux australiens de 2019-2020 qui ont été détectés à Dumont d’Urville, après que les vents aient porté une partie des aérosols au dessus du continent Antarctique. C’est un champ d’étude très récent ! Enfin, on détecte aussi les aérosols issus des volcans. Pour le moment, c’est d’ailleurs les principaux signaux que j’ai pu détecter. En effet, en Janvier 2022, un volcan de l’Océan Pacifique Sud, nommé le Hunga Tonga Hunga Ha’apai, est rentré en éruption, libérant une grande quantité de particules dans la stratosphère, en plus d’une grande quantité de vapeur d’eau, du fait qu’il soit sous-marin. Près d’un an et demi plus tard, nous les détections encore ici, ce qui est inédit depuis que des LIDAR scrutent la stratosphère. Il y aura donc beaucoup d’analyses à effectuer à partir des données récoltées, ici et ailleurs, pour en tirer des conclusions scientifiques solides.

A terme, l’intérêt de ces études est de comprendre les mécanismes liés aux PSC ainsi que leur impact sur la couche d’ozone. Plus récemment, la multiplications des injections majeures en stratosphère – activité volcanique et feux de biomasse – a placé ces sujets au cœur des activités de Recherche du projet. L’enjeu principal est de comprendre l’impact que ces aérosols – de natures différentes – vont
avoir sur les processus stratosphériques polaires usuels (formation des PSC, chimie de l’ozone entre autres). Bien sûr, tout cela s’inscrit dans le cadre du changement climatique qui vient modifier les principaux paramètres, tels que la température et la composition atmosphérique. En effet, la couche d’ozone joue un rôle majeur dans la suppression de toute une partie de l’énergie du Soleil qui arrive au sol. Aussi, si la couche d’ozone diminue, il y aura plus de lumière du soleil, qui réchauffera les glaces de l’Antarctique, ce qui pourrait dérégler encore un peu plus le climat. Les UV ont également un aspect nocif important pour la vie, et c’est l’une des raisons majeures de l’étude de cette couche d’ozone. Enfin, cette dernière, en absorbant les UV, se réchauffe. Si la stratosphère évolue en termes de température, les processus qui y prennent place sont également impactés.

Comme vous pouvez le voir, je suis le premier maillon d’une longue chaîne. Responsable de l’acquisition des données sur le terrain, je les transmets ensuite aux scientifiques responsables de l’analyse fine des mesures. Ils en tirent ensuite des conclusions, en accumulant des données sur plusieurs dizaines d’années. La science est un processus lent ! Le projet de Recherche soutenu par l’Institut polaire français dans lequel s’inscrit mon travail s’intitule « projet 209 : NDAAC Antarctique« . Il est tenu par le LATMOS (Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales).

Pour les plus curieux d’entre vous, vous trouvez ci-dessous une figure qui représente les données acquises du 12 février au 30 juin 2022. En abscisse, la date de mesure. En ordonnées, l’altitude en kilomètres. L’échelle de couleur représente un rapport de diffusion : plus une couche est diffusante, plus le rapport de diffusion est grand. On observe aisément la saison des PSC à partir de début juillet !

Image issue de la thèse de Florent Tencé : https://www.theses.fr/2023UPASJ004

Ainsi, au quotidien, je m’assure du bon fonctionnement de l’instrument, je l’entretiens, je réalise les opérations de contrôle et de maintenance préventive, j’optimise les signaux reçus, je réalise les mesures, effectue un premier traitement et les envoie au laboratoire. Je profite aussi du temps qu’il me reste pour proposer des idées d’amélioration. Je veille également à la sécurité laser sur la station, pour moi et pour les autres, car, comme vous pouvez l’imaginer, pour recevoir de la lumière diffusée à 40 km d’altitude, il faut un gros laser. Celui-ci est visible sur toute la station, et attire souvent les curieux ! Comme il est dangereux, je leur propose de m’accompagner pour découvrir le fonctionnement à l’intérieur du bâtiment, en toute sécurité !

Pour ne pas saturer les détecteurs avec la lumière du Soleil, je ne peux faire des mesures que la nuit, du lever au coucher du Soleil. Si l’été, alors que tout le monde est sur le pont au cours de la campagne, j’ai la chance de n’avoir que 2 ou 3h de travail par nuit ; au cœur de l’hiver, alors que le rythme et l’énergie diminue sur la station, j’enchaîne les longues nuits de travail. Jusqu’à 20h de tir consécutives quand la météo est favorable ! Je vois donc chaque membre de la station aller se coucher, puis se lever quelques heures plus tard, alors que je continue de travailler. Et quand ils travaillent, je dors pour récupérer de ma longue nuit de travail. Ainsi, vous comprenez mieux pourquoi j’ai moins publié au cours des deux derniers mois ! Heureusement, le Soleil a gagné sur la nuit, et chaque jour, nous gagnons plusieurs minutes de jour. J’aurai maintenant davantage de temps à consacrer à de nouveaux articles, pour votre plus grand plaisir, je l’espère.

Évidemment, comme à l’habitude, je ne peux vous laisser sans quelques photos et vidéos ! Vous y verrez surtout le faisceau laser vert, très visible partout sur la station, et sur un bon nombre de mes photos nocturnes !

J’en profite également pour remercier le LATMOS pour la confiance qu’ils m’accordent, me permettant ainsi de travailler sur ce joli projet. Un merci tout particulier à Florent Tencé, qui suit mes activités au quotidien, et a accepté de corriger et étoffer cet article ! Merci aussi à l’Institut polaire français pour son rôle essentiel dans la faisabilité de tels projets.

Quelques sources supplémentaires pour aller plus loin : 

  • Tencé, F., Jumelet, J., Bouillon, M., Cugnet, D., Bekki, S., Safieddine, S., Keckhut, P., and Sarkissian, A.: 14 years of lidar measurements of polar stratospheric clouds at the French Antarctic station Dumont d’Urville, Atmos. Chem. Phys., 23, 431–451, https://doi.org/10.5194/acp-23-431-2023, 2023
  • Tencé, F., Jumelet, J., Bekki, S., Khaykin, S., Sarkissian, A., & Keckhut, P. (2022). Australian Black Summer smoke observed by lidar at the French Antarctic station Dumont d’Urville. Journal of Geophysical Research: Atmospheres, 127, e2021JD035349. https://doi.org/10.1029/2021JD035349

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